Difficile de faire une analyse exhaustive de l’informaticien que l’on chasse aujourd’hui. Un rien provocateur, un ingénieur dresse le portrait de l’informaticien idéal, selon lui, pour les recruteurs : « De sexe masculin, 25 ans, habitant en région parisienne, diplômé d’une école reconnue. De préférence avec un patronyme occidental. Il faut aussi qu’il soit célibataire car corvéable jusqu’à 2 heures du matin. Et sportif, car un compétiteur rassure toujours l’employeur ; il tient la distance et gère son stress. En plus, on l’imagine s’entraînant pour le marathon pendant ses quelques heures libres, plutôt qu’occupé à donner le biberon ou décompressant en boîte de nuit. Enfin, comme on n’en est pas à un paradoxe près, on lui dit également qu’avec 5 ans d’expérience, son profil aurait été meilleur. Inutile donc d’être trop gourmand en salaire ! C’est exactement ce qui s’est passé pour moi, lors de mes différents entretiens d’embauche… »
Critères : sexe masculin…
Du mythe à la réalité, il n’y a qu’un pas que nombre de recruteurs (SSII, clients finaux…) franchiraient donc, caricaturant allégrement le trait. Cette anecdote est d’ailleurs corroborée par les statistiques du marché de l’emploi informatique, comparées à celles de l’emploi en général. Comme si l’informatique privilégiait à outrance ces critères !
On ne trouve en effet que 20 % de femmes dans ces métiers (contre 40 % de femmes en poste sur le marché de l’emploi en général), et probablement moins si l’on prend exclusivement en compte les informaticiens car, dans les sociétés de services, existent aussi d’autres profils comme les administratifs ou les commerciaux.
Même les chiffres du CNRS paraissent meilleurs : 31 % de chercheuses (pourcentage qui reste stable depuis la fin des années 1980) et 43,1 % d’ingénieurs femmes. Mais en allant plus loin, on note des ressemblances avec l’informatique : 15 femmes seulement directrices de recherche de classe exceptionnelle contre 114 hommes et seulement 16 % de chercheuses en mathématiques (contre 43 % en sciences de l’homme et de la société).
« La part des femmes est en baisse dans l’informatique : une femme pour trois hommes en 1990 contre une pour quatre en 2002. » (ministère de l’Emploi, novembre 2005). La question est donc de savoir si les femmes n’entrent pas dans ces carrières par choix ou si l’effet « plafond de verre » est davantage prégnant ici qu’ailleurs…
… moins de 40 ans…
Autre critère : l’âge. Les sources croisées montrent que tous secteurs confondus, l’âge moyen des collaborateurs est de 40 ans. Or, dans les services informatiques, il est de 34 ans. Pire : le cap de la quarantaine est fatal à de nombreux informaticiens (entrant alors dans la catégorie « senior »), qui n’ont pas intégré le secteur public ou les postes à responsabilités : 74 % d’entre eux ont moins de 40 ans, 26 % sont âgés de 40 ans ou plus et 9 % seulement annoncent plus de 50 ans. Alors que sur l’ensemble du marché du travail, le rapport est de 50/50 entre les plus et moins de 40 ans, sachant que 22 % des plus de 50 ans sont en poste…
… mais aussi parisien et diplômé…
Sur le plan géographique, l’Apec indique que 73 % des recrutements informatiques se sont faits en Ile-de-France en 2005 ( LesJeudis.com confirment la stabilité de ce chiffre à 72 % en juin 2006). Et le niveau de diplôme est élevé : la moitié des moins de 30 ans possède un diplôme au moins égal à bac +3 et 30 % un diplôme de niveau bac +2. D’ailleurs, 75 % des cadres du secteur informatique sont diplômés contre 30 % tous secteurs confondus (ministère de l’Emploi, novembre 2005).
Quant aux écoles cotées, la liste varie d’une année à l’autre, des effets de mode existent et cohabitent avec d’inévitables critères de cooptation, liés aux profils des DSI ou des recruteurs. Dernier point à ne pas négliger : les compétences (SAP en tête) et le choix judicieux des langages – si les Java/J2EE sont très recherchés, .Net opère, depuis quelques mois, une nette remontée et scinde le marché en deux camps avec quelques profils PHP « outsiders »…
Pour les autres critères (célibataire, sportif, patronyme français…), une étude sociologique pourrait les détailler et les quantifier. D’aucuns affirmeront que ce sont des fantasmes, mais tous les témoignages indiquent qu’ils existent bien, de manière plus ou moins déclarée par les entreprises.
Des contrats stables…
Le bac +5 en informatique a 74 % de chances d’être recruté en CDI, et 26 % en intérim ou en CDD, chiffres qui donnent l’illusion d’une forte stabilité. Mais les titulaires d’un diplôme universitaire ont plus de mal à s’insérer sur le marché. Ainsi, le taux de chômage des docteurs qui ont leur thèse depuis 3 ans a augmenté de près de 4 points entre 2001 et 2004, pour dépasser les 10 %, selon le Céreq (juin 2005).
Si l’on raisonne en stock, 96 % des emplois sont en CDI (contre 87 % tous secteurs confondus). Stabilité confirmée par de nombreux témoignages de jeunes diplômés engagés à l’issue de leur stage de fin d’études de 6 mois, dans la même entreprise, pour un salaire brut compris entre 34 K€ (Supinfo) et 37,4 K€ (Télécom Paris).
La tendance pourrait s’accélérer : la note de conjoncture de l’Apec du 2 e trimestre 2006 indique que « la part des offres aux jeunes diplômés progresse. Cette évolution est due principalement à la fonction informatique où leur part a augmenté le plus fortement : de 21 % à 28 % », avec un volume des offres supérieur à 4 000. Mieux encore : selon une étude du cabinet Oberthur Consultants, les rémunérations des informaticiens français ont augmenté de 4,5 % en 2005 !
mais un fort turn over
Les informaticiens seraient-ils les survivants du dernier eldorado d’un marché français de l’emploi qui peine à montrer sa reprise ? Pas si sûr. Dans le détail, on découvre un turnover de 14 % dans le secteur informatique, contre 7 % sur le marché de l’emploi en général.
Est-ce par opportunisme que l’on choisit de partir ? 73 % des informaticiens ont une ancienneté inférieure à 5 ans, contre 46 % tous secteurs confondus, et 10 % seulement une ancienneté supérieure à 10 ans, contre 38 % sur l’ensemble du marché de l’emploi. D’ailleurs, l’étude Alpha montre que les démissions représentent 40 % des départs (et même 54 % selon le Syntec informatique). Mais une autre réalité contrebalance ces départs volontaires : 11 591 licenciements répartis en 4 569 licenciements économiques et 7 022 licenciements pour motifs personnels, soit environ 4% des effectifs en 2004 (Assedic/Munci). Tout n’est donc pas si rose au royaume du marché IT…
Et ensuite ? Les informaticiens peuvent rejoindre une société de services (70 % des offres proposées), sachant qu’une offre en informatique suscite 31 candidatures contre 51 tous secteurs confondus (Apec, 4e semestre 2005). Cet élément pourrait encore s’améliorer si la reprise économique était tangible, la courbe de l’emploi persévérant à la hausse, et surtout si les entreprises osaient sortir du cadre de l’informaticien idéal. Et stéréotypé…